
Le troupeau

La calculette
À quand remonte la nécessité de compter pour les êtres humains ? Il est difficile de répondre à cette question. Il semblerait que spontanément,
sans apprentissage d’aucune sorte, nous n’aurions la faculté de ne discerner qu’un, deux ou trois éléments, au-delà, nous dirions simplement
« beaucoup ».
Évidemment, avec l’habitude de manipuler des quantités, les humains (et même certains animaux semble-t-il) ont pu aller plus loin depuis très
longtemps.
On a pu même aller très très loin avec une simple astuce : si j’ai un troupeau de brebis et que je veux m’assurer qu’il n’en manque jamais,
il suffit au départ de les faire avancer une à une par un passage étroit et de mettre un caillou dans un sac pour chaque brebis qui passe.
Quand je voudrai vérifier qu’il n’en manque pas, il suffira de recommencer à les faire passer une à une et de retirer les cailloux au fur et
à mesure. S’il me reste des cailloux, c’est qu’il me manque autant de brebis que de cailloux restants.
Rien d’étonnant dès lors que le mot cailloux (calculus en latin) ait donné le mot calcul.
Cette façon de compter est ce qu’on appelle un système
unaire. En gros, je trace une barre pour chaque élément et le nombre de barres me
donne la quantité. Si vous avez déjà participé au dépouillement d’un vote, vous avez peut-être remarqué que les assesseurs utilisent encore
de nos jours cette technique pour contrôler le nombre de voix de chaque candidat.

Feuille de dépouillement
Comme quoi, les techniques plusieurs fois millénaires ont toujours du bon…

Tablette Plimpton 322
Ceci dit, n'allez pas croire que nos ancêtres ne savaient qu'aligner des bâtons.
En témoignent certaines tablettes d'argile babyloniennes datant
d'environ 4000 ans qui semblent traiter en caractères cunéiformes (en forme de clou) les triplets pythagoriciens, c'est-à-dire les ensembles
de nombres entiers qui peuvent être la mesure des longueurs des côtés d'un triangle rectangle comme 3,4 et 5 par exemple.
Et c'est très pratique pour ériger des constructions parfaitement rectangulaires.
***
De nos jours, à part pour dépouiller les votes, on ne compte plus guère comme on comptait les brebis. On utilise le système dit
décimal.
Ce système, vous le connaissez bien puisqu'il consiste à utiliser une notation comprenant 10 symboles, 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 et de
continuer à dénombrer en combinant les symboles 10, 11, 12, etc. La valeur de chaque symbole est ici déterminée par son rang. De droite à gauche,
unités, dizaines, centaines, etc.
Ce choix de 10 symboles est paraît-il inspiré du fait que l’on a 10 doigts. C’est bien possible, mais d’un certain côté, c’est peut-être
dommage.

Une fois 12 œufs, 2 fois 6 œufs, 3 fois quatre œufs, 4 fois 3 œufs, 6 fois 2 œufs ou 12 fois un œuf, c'est comme vous voulez !
En effet, en diverses occasions, les humains ont compté par douzaine (système
duodécimal). Nous en avons encore des traces dans certaines divisions monétaires
et, par exemple chez nous, pour compter les œufs ou les huîtres.
L’intérêt de la douzaine est que l’on peut la diviser en parts égales entre 2, 3, 4, 6 et 12 personnes. Ce qui fait 5 façons de diviser
sans avoir à casser des œufs.
Une dizaine d’œufs ne peut se diviser en parts égales qu’entre 2, 5 ou 10 personnes. C’est beaucoup moins pratique. Régler les héritages
serait beaucoup plus simple avec un système basé sur les douzaines que sur les dizaines, c’est sûr.
Nos ancêtres sont allés encore plus loin dans cette logique, puisqu’ils ont privilégié le système
sexagésimal basé sur 60 ! Effectivement, 60 peut se
diviser en 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20, 30 et 60. Difficile de faire mieux avec moins. Il en reste des traces dans la façon de mesurer
les angles et les durées : les minutes sont la soixantième partie des heures ou des degrés et les secondes, la soixantième partie des minutes.
La représentation des nombres chez les Mayas
Quant aux Mayas, qui excellaient dans la manière de compter les durées par millions de jours, ils utilisaient le système
vicésimal,
basé sur 20, le tout avec peu de symboles : un signe en forme de ballon de rugby pour 0, un point pour 1 et une barre horizontale pour 5.
Le nombre 19 était représenté par un groupe formé de 4 points surmontant 3 barres.
En effet, comme pour le système décimal, la position des groupes déterminait leur valeur, non plus de droite à gauche, mais du bas vers le haut. Le
nombre 20 était donc un simple point décalé vers le haut avec le symbole 0 en dessous. Le nombre 21 un point au-dessus d'un autre point, 22 un
point au-dessus de 2 points. Et on pouvait aller très loin comme ça...
Mais, revenons à nos ordinateurs. Comme on l’a vu, un ordinateur, c’est d'abord une machine à calculer. Que va-t-on lui imposer comme façon de
compter, puisqu’on a le choix ? En effet, comme on vient de le voir, on peut utiliser n’importe quel système, on arrivera toujours à
représenter la mesure de tout ce qui est dénombrable. Autant utiliser ce qui est le plus pratique pour lui.
Il se trouve que c’est tout simplement le système dit
binaire. Avec simplement deux symboles, 0 et 1, on va représenter toutes les
valeurs nécessaires à son fonctionnement. Et c’est assez pratique, puisque justement, nos ordinateurs fonctionnant à l’électricité, on va
pouvoir représenter un 0 par une absence de courant, ou un courant faible, dans un circuit et un 1 par la présence d’un courant, ou un
courant plus fort, dans le même circuit. Cette façon de faire pourra servir également à bien plus de choses qu'un simple dénombrement
pour nos ordinateurs.
Mais si les suites de 0 et de 1 sont faciles à manipuler pour les ordinateurs, elles sont assez peu parlantes pour les pauvres humains que
nous sommes. Évaluer d'un coup d'oeil la valeur représentée par 1100100101011100011010 ou essayer simplement de la mémoriser, ce n'est pas
évident.
Aussi, les programmeurs ont utilisé la base
hexadécimale pour se simplifier la vie. Ce système de base 16 s'écrit
avec les chiffres de 0 à 9 suivis des lettres de A à F, tout simplement. F vaut 15 et 16 s'écrit 10. On y reviendra.
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Des 0 et des 1, deux symboles auxquels George Boole a consacré une grande partie de sa vie. C'est ce que l'on évoquera dans le prochain
chapitre.