
La Méduse courant diverses bordées au plus près du vent
Le capitaine Hugues Duroy de Chaumareys est fier de lui. Commandant la frégate « La Méduse » Il a largement distancé les autres
bâtiments envoyés avec le sien par Louis XVIII pour coloniser le Sénégal. Ce n’est pas le grand amour entre lui, le royaliste, et
ses officiers, anciens bonapartistes. Aussi, il ne les écoute guère et prend souvent ses décisions contre leur avis.
C’est le cas à l’approche des dangereux hauts-fonds que constitue le ban d’Arquin. Une erreur dans l’estimation de sa position, et c’est le
drame. La Méduse s’échoue à soixante kilomètres de la côte. Cent-soixante personnes y trouveront la mort, la plupart entassées sur un radeau de fortune
composé des éléments de la mâture.

Charles Babbage
À quelque temps de là,
The Times en fit un rapport circonstancié. Que les Français montrent ainsi leur maladresse en récupérant les comptoirs
du Sénégal occupés par les Britanniques n’était pas pour déplaire à leurs lecteurs. Mais, parmi ces derniers, il en est un sur qui cette
nouvelle va avoir un tout autre effet.
Charles Babbage, c’est de lui qu’il s’agit, était, depuis quelques années déjà, obsédé par le fait que de nombreux naufrages étaient dus aux erreurs
contenues dans les tables de navigation.
Ces tables qui permettaient de calculer plus précisément la position des navires étaient évidemment réalisées par des êtres humains chargés
d’opérer à la main des calculs complexes à longueur de journée, et, inévitablement, des erreurs, souvent causées par la fatigue, étaient commises.
C’est ce jour-là que Charles Babbage prit la décision de créer une machine à calculer, bien plus sophistiquée que la Pascaline. Cette machine
serait capable d’établir sans erreurs les tables nautiques ainsi que d'autres tables du même genre, astronomiques et mathématiques...

Modèle d'essai d'une partie de la machine analytique, construit par Charles Babbage, exposé au Science Museum de Londres.
Cette histoire est un peu romancée, mais cela a très bien pu se passer d'une façon analogue. Ce qui est sûr, c’est que Charles Babbage
a, dès les années 1820, décidé de construire une machine qu’il appellera
« Difference Engine 1 » dans le but d’éviter que des marins périssent
en mer à cause de simples erreurs de calcul.
Si son projet a évolué au cours du temps, il ne fut jamais finalisé de son vivant. Par contre, la justesse de ses vues a par la suite été
démontrée. Un de ses fils en construisit une partie et en fit une démonstration réussie en 1908 et, pour célébrer le 200e anniversaire de
Charles Babbage, le musée des sciences de Londres en a fait réaliser un exemplaire complet, opérationnel en 2002.

Les cartes perforées de Charles Babbage.
Les cartes d'instructions sont au premier plan, devant les cartes de données.
L’idée centrale de Charles Babbage n’était pas seulement de réaliser un mécanisme beaucoup plus élaboré que la Pascaline, mais également
d’utiliser le système de cartes perforées déjà introduit dans les métiers Jacquard.
Sa machine utiliserait des cartes pour les données qui définiraient le positionnement des rouages au départ et des cartes pour les
instructions qui indiqueraient aux différents rouages de tourner d’une certaine façon pour établir un résultat indiqué par la
disposition finale.

Ada Lovelace, portrait par Alfred Edward Chalon
Au cours de ses travaux, il entra en correspondance avec une jeune femme férue de mathématique et fascinée par les machines à calcul,
Ada Lovelace, fille du poète Lord Byron.
Après avoir pris connaissance des travaux de Charles Babbage en traduisant un mémoire sur la machine analytique, elle le contacte
en 1843.
Dès lors, une étroite collaboration débutera entre ces deux êtres exceptionnels.
Et c’est ainsi que le premier programme informatique au monde fut écrit ! Pour une machine qui n’existait pas encore, certes, mais dont
personne aujourd’hui ne doute de la pertinence.

« Programme » de calcul des nombres de Bernoulli dans la note G d'Ada Lovelace (1843).
Extrait des notes d'Ada Lovelace.
Partie de rien, Ada Lovelace a mené des travaux aux apparences complexes qui recèlent des trésors d'ingéniosité et de rigueur. Toutes les
qualités pour faire de nos jours d'excellents développeurs.
Pour rendre hommage à ces travaux, un langage informatique a été nommé ADA au début des années 80 par la société CII-Honeywell Bull.
Et maintenant, après quelques pages pour en savoir plus et un petit exercice pas méchant du tout avec des engrenages, si on allait
s'intéresser à la façon dont, à travers les âges, les êtres humains s'y sont pris pour compter ?